Cannes a toujours eu une relation particulière avec les pays de l’Est. Peut-être parce que le Festival est mort-né le 1er septembre 1939 (annulation du Festival pour cause de seconde guerre mondiale) puis né pour de bon en septembre 1945, neuf mois après Yalta.
D’autres festivals naîtront après-guerre : celui de Karlovy Vary en République Tchèque en 1946 (qui représente aujourd’hui encore l’universalité du cinéma dans les pays de l’Est) et celui de Moscou qui connut une éphémère année d’existence (le prix fut attribué à Tchapaïev des frères Vassiliev) pour se relever en 1959 (depuis les deux festivals alternent une année sur deux).
Mais nous ne sommes pas là pour étudier la Conférence de Yalta ou la géographie de l’URSS (ça c’était mon programme du Bac à la fin des 80’s…), mais plutôt pour apprécier un film projeté hier soir, présenté aujourd’hui en compétition : le sublime Leto.
Kirill Serebrennikov – qui pour des raisons opaques n’est pas présent sur la croisette – nous présente dans une mise en scène éblouissante deux groupes de rock (ou punk rock), qui enchantèrent (réellement) la scène underground du Leningrad du début des années 80’ : Zoo Park et Kino.
Le film, aussi beau plastiquement (avec des ajouts d’animation et de couleurs sur une image en noir et blanc impeccable) qu’harmonieux rythmiquement (avec des musiques jouées par les groupes cités), est également sur-maîtrisé sur sa mise en scène où tous les acteurs/personnages existent et sont émouvants.
Leto est étonnement complet, car il y a à la fois un cinéaste qui mêle le poétique et le politique avec des signes déroutants (alors qu’il est assigné à résidence), mais aussi un auteur capable de redéfinir les contours d’un genre cinématographique : la comédie musicale.
La bande son compte notamment trois reprises de standards de ce rock que l’on pourrait qualifier de progressiste : le toujours moderne Psycho Killer des Talking Heads, l’hymne d’Iggy Pop The Passenger et enfin l’envoûtant ou vénéneux Perfect day de Lou Reed…
Comme si la maîtrise d’un Tarkovski avait été crayonnée par le génie d’un Basquiat, comme si Stanley Kubrick avait réalisé des clips pour les Sex Pistols…
Serebrennikov intègre des petites histoires d’amour (réelles, virtuelles ou rêvées ?) entre ses personnages confrontés à la grande Histoire de cette URSS exsangue qui sacrifiait sa jeunesse en Afghanistan dans une guerre si meurtrière. Bref, le film est donc à l’avant-garde de la Perestroïka : BRILLANT !
Difficile de voir un autre film après celui-ci… Je parie d’ores-et-déjà qu’il sera, pour de bonnes ou mauvaises raisons, présent au Palmarès.
À l’heure où le conflit en Syrie contamine le monde entier et qu’une troisième guerre mondiale n’a jamais semblé si proche, les artistes doivent s’exprimer, exprimer la peur qui sommeille en nous et la grâce que nous pouvons parfois extraire de cette peur légitime.
Les événements culturels comme le Festival de Cannes doivent rester des tribunes où des poèmes filmiques seront hantés par des « tueurs psychopathes », simples « passagers », pour nous aider – peut-être – à vivre un « jour parfait »…