Arrivé à la mi-temps du 71e Festival de Cannes, on ne peut faire qu’un constat : les films sont plutôt bons cette année et laissent présager une grande année cinématographique. Le Festival des auteurs ou du moins les auteurs du Festival sont en formes et ce n’est pas une légende, mais une réalité !
Jiang hu er nv de Jia Zhang-Ke : la fin d’un cycle
Le maître chinois a encore frappé ! On est habitué à voir des films de Jia Zhang-Ke (JZK) à Cannes, mais ici, il semble clore une trilogie et achever une étape de sa vie artistique (il vient en effet d’être élu député de l’Assemblé nationale populaire). Une trilogie donc, entamé avec Tian zhu Ding (A touch of sin) en 2013, poursuivie en 2015 avec Shan He Gu Ren (Au-delà des montagnes) et achevée ici en 2018 avec Jiang hu er nv (Les Éternels)…
Trois films qui mettent scène la même actrice, la divine Zhao Tao (muse et épouse du JZK depuis 2012). Trois films qui auscultent la Chine contemporaine et ses transformations intenses et parfois brutales… Trois films qui se découpent souvent en trois ou quatre parties distinctes avec des temporalités multiples tissant une toile commencée à l’orée de ce XXIe siècle (le siècle de la Chine ?). Trois films ou les personnages principaux (souvent Zhao Tao) finissent souvent seuls, après leurs épopées intenses et souvent brutales…
JZK a exceptionnellement travaillé avec un chef opérateur français pour ce film : Éric Gauthier, compagnon de travail d’Arnaud Despléchin, Olivier Assayas, mais aussi Alain Resnais ou Amos Gitaï, et récompensé du César de la Meilleure photo en 1999 pour Ceux qui m’aiment prendront le train du regretté Patrice Chéreau. Éric Gauthier remplace ici le complice récurrent, à l’image de JZK : Yu Lik-Wai.
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L’image de ce film est magnifique car ce pays-continent, et particulièrement la région de Shanxi filmée ici (dont JZK est originaire), avait beaucoup de mines de charbon qui, comme on le sait, n’est plus une énergie fortement utilisée. Les mutations de populations et de capitaux qui s’opèrent changent ainsi l’âme de ces lieux.
Du John Ford made in China : John Wayne réincarné en Zhao Tao
Quand John Ford filmait toujours, ou souvent, Monument Valley, il immortalisait ces mutations qui durant la seconde moitié du XIXe siècle ont changé le Far West. Et souvent son (anti-)héros de prédilection était John Wayne.
Un John Wayne qui ne pouvait que reproduire le schéma mortifère, qu’il avait pourtant combattu durant tout le film, du Colonel Thursday (Henry Fonda) dans Le Massacre de Fort Apache en 1948. Qui ne pouvait rester avec sa nièce, Debbie (Natalie Wood) après l’avoir cherché pendant dix ans dans La Prisonnière du désert en 1956. Où qui mourait d’avoir perdu l’être aimé au profit d’un jeune avocat Ransom Stoddard (James Stewart) dans L’Homme qui tua Liberty Valence en 1962.
Ces films finissaient tous avec un goût amer, avec tout sauf un happy end, le cynisme fordien y trouvait toute sa substance. Trois films suivaient le fameux adage cher à Ford : « Quand la légende est plus belle que la réalité, il vaut mieux imprimer la légende… »
Pour Zhao Tao, c’est un peu la même amertume que l’on retrouve dans son Far East à elle. Elle est obligée de fouetter son patron qui se transforme en violeur potentiel avec des billets de banques (scène incroyablement symbolique) pour revenir, finalement, dans son village natal dans le Hubei en Chine centrale dans le premier opus de la trilogie, A touch of Sin. Elle finira, seule et vieille, en dansant la même chorégraphie dans laquelle elle rayonnait, jeune entre ses deux amoureux de jeunesse dans le deuxième opus, Au-delà des montagnes.
Ici dans Les Éternels, JZK clôt donc sa trilogie en signant un film noir qui renouvelle le genre, comme on peut l’imaginer. Mais chez lui, la réalité l’emportera toujours sur la légende, et c’est sûrement là qu’il se distingue de son aîné américain.